vendredi 7 octobre 2011

La jetée de Chris Marker

« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. La scène qui le troubla par sa violence, et dont il ne devait comprendre que beaucoup plus tard la signification, eut lieu sur la grande jetée d’Orly, quelques années avant le début de la Troisième Guerre mondiale. ... Rien ne distingue les souvenirs des autres moments : ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître, à leurs cicatrices. Ce visage qui devait être la seule image du temps de paix à traverser le temps de guerre, il se demanda longtemps s’il l’avait vraiment vu, ou s’il avait créé ce moment de douceur pour étayer le moment de folie qui allait venir... »


La Jetée (1962)


Le film pose entre autre la question de l'évanescence ou de la rémanence des images : quelle est la place de l'image filmique dans notre mémoire personnelle, collective ? C'est aussi une interrogation profondément cinématographique sur la qualité de vision et d'analyse du spectateur, qui est la marque d'un cinéma à la recherche de ses fantômes, de ses doutes et de son histoire. Le seul instant en mouvement du film, introduit une extraordinaire tension dans le flot d'images fixes : le héros vit quelques moments aux côtés de la femme dont le souvenir du visage le hante depuis son enfance. Juste avant leur dernière rencontre, ils vivent l'amour et la femme entre en un mouvement presque imperceptible soutenu par un bruit violemment strident : c'est un pur moment de suspension dans le temps (ou plutôt hors du temps, dans l'ailleurs temporel qu'arrive à inventer le cinéma).

La femme le nomme « son spectre ». La plupart du temps, la brouille crée une mauvaise suspension. Même trajet, infimes changements, imperceptibles dans le détail. 

C’est comme si nous assistions à une image photographique qui s’anime devant nos yeux. Mouvement déconcertant par son impossibilité apparente. C’est quelque chose de définitivement surréel. Pour Susan Sontag, ce « qui rend une photographie surréelle c’est l’incontournable serrement de cœur qu’elle provoque en nous, comme message du passé et le caractère concret de ce qu’elle suggère sur les classes sociales. » 

Moment de rupture dans le temps du film, un passage. Légère déception qui pointe sans doute son nez, mais à peine dans l’obscurité du contre-jour, floues, mouvantes, lumineuses, perdues là, enfouies à bras raccourcis, grands écarts, tout fignolé, écrit dans le creux, ce gouffre ou cette tache aveugle. Rêve dont la tâche serait de nous séparer du monde. Sa présence dans ces images devient irréelle. Son corps nous semble sans vie, pareil à ces animaux empaillés. La fixité des images renforce cette perception de fatalité. Impossible pour lui de prendre vie dans cet univers qui n’est plus le sien depuis plusieurs années.

Son spectre, à lire dur le Café du commerce de Jacques Bon

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